Millefeuilles

LA DAME AU CHAPEAU

Pour un atelier du mois de janvier 2010, Anne-Sophie a composé cette nouvelle :

 

Tu es venue chez moi

Tu t’étais mis sur la tête un énorme chapeau

Très clinquant

Très coloré

Avec dessus des fleurs

Des brindilles

Et deux cornes de sanglier

Ça te faisait une tête de dingue

Mais je n’ai rien dit

De toute façon, tu as toujours un peu une tête de dingue

Surtout quand tes yeux deviennent noirs

Et s’enfoncent dans leur orbite

Et que tu te mets à parler de manière saccadée

Comme un robot déréglé

Au bord de l’implosion

Bref, tu t’es pointée chez moi

Escortée par tes drôles de cornes de bête

Et je t’ai laissée entrer

Docilement

Tu m’as à peine saluée

Un vague mouvement de tête à mon adresse

Tu m’as rapidement dégueulé

Les quelques mots d’usage pour les salutations

Ta mission était remplie

Le minimum syndical requis était fourni

Et que valsent les cornes de bête

Au milieu de mon salon

Tu t’es mise à inspecter mon intérieur

Avec le professionnalisme d’un membre de la BAC

A la recherche du moindre indice

Qui pourrait me confondre

Me déstabiliser

Me faire pleurer

Me faire hurler

Me faire me rouler à terre en me tordant le ventre de douleur

Moi qui n’ai même pas assassiné quelqu’un

Moi qui n’ai rien fait de mal

A personne

Moi qui n’ai même pas roté sans dire pardon depuis au moins 12 ans

Moi qui n’avais rien demandé

Tu t’es mise à chercher

Chercher

Chercher

Rien, aucune parcelle de ma terre n’a échappé à tes analyses

C’est un peu sale chez toi

Tout de même

Les moutons dans les coins

On dirait des vrais tellement ils sont énormes

J’espère au moins que vous les nourrissez bien

Sinon vous allez avoir la SPA sur le dos

Et puis les algues dans l’évier

C’est très moyen

Hey mais ça croustille franchement par terre là

Vous avez quand même un statut social à honorer

Et avec les sous que vous avez

Vous pourriez vous payer une femme de ménage

Qu’est ce qu’elle est moche cette table

Et cette horreur vous l’avez toujours

Vous devriez la foutre au feu

Dis-donc toi t’as une mine de merde today

Ta culotte te boudine

On dirait que t’as quatre fesses

Et puis les soutiens gorge c’est pas fait pour les guenons

Au niveau de ton maquillage

T’as rien trouvé d’autre que la gamme pute

Visiblement

Bref

Sers-moi mon café

Putain

Qu’est ce qu’on est mal dans vos chaises

Et, là il s’est produit un truc inattendu

Madame s’est pris le couvre chef dans mon lustre de cuisine

Il y a eu quelques couinements

Un lâché sauvage de brindilles

Un envol de pétales multicolores

Une des cornes de sanglier s’est coincée dans le goulot d’une ampoule

Tandis que l’autre s’est explosée à terre

Des tas de petits vers en sont sortis

Ça grouillait

J’ai vomi

Puis

Elle a eu une espèce de rictus bizarre

A décroché le chapeau du lustre

Et se l’ai replacé sur la tête

Elle a entamé un monologue

Mêlant critiques et banalités

Les vers commençaient à se disperser

Il y en a un qui s’est mis à escalader ma table

J’ai re-vomi

Et a re-monologué

Les vers se sont re-éparpillés

Ma bassine à vomi était pleine

Je l’ai posée à côté des algues de l’évier

Et j’en ai prise une autre

Les vers ont commencé à monter sur ses chaussures

Sur ses jambes

Sur son pull

Elle continuait à parler

Toute seule

Déversant sa verve contre tous et toutes

Elle ne se rendait compte de rien

Elle déblatérait des méchancetés et tout le monde en prenait pour son grade

Moi j’étais trop occupée à retenir mon vomi

Que je n’ai pas pu l’informer de la situation qui se dégradait

Je n’ai pas pu lui parler de tous ces vers qui commençaient à prendre possession d’elle

Ils ont envahi son cou

Son visage

Ses cheveux

Ses brindilles

Et ses fleurs

Ils ont libéré les vers de l’autre corne

Ça grouillait de plus en plus

Elle continuait à parler

Puis à un moment

Elle s’est tu

Elle s’est levée

M’a dit que chez moi, en plus d’être moche, ça sentait vraiment la gerbe

Elle s’est écroulée

Les vers l’ont totalement bouffée

Je ne l’ai jamais revue

Ni elle

Ni ses chapeaux

Ni ses cornes de bête

Ni ses vers portatifs

Je me dis juste que cette femme était un cauchemar

En forme de fleur

Et que maintenant

J’aurai moins peur.

 

 

 

 

 



12/09/2012
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